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Textes — Mémoires Intemporelles

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Mémoires Intemporelles

L’aventure d’artiste de Frédéric Nakache, traduit une frontière fragile entre l’humain et son environnement. Les différents territoires artistiques abordés, les multiples disciplines de sa pratique, se frôlent, se répondent, fusionnent par la mise en place de zones de transitions indicibles ; cette perception particulière est à déceler à la lecture des œuvres et des propositions scénographiques de ses expositions.

Les photographies sont le pivot autour duquel s’organise son travail. Photographies au pluriel et non pas au singulier car Frédéric Nakache ne se préoccupe pas des orientations significatives que sont le documentaire, la narration, la picturalité, de la photographie contemporaine, il privilégie ce support dans sa complexité, mais, la vidéo et la sculpture composent aussi son répertoire d’expression.

Les prises de vues avec modèles se définissent comme objets narratifs, celles avec les objets/personnages prennent place comme modèles, les constructions ont le pouvoir de se transformer en compositions, ces mises en abîme d’un thème dans un autre, s’offrent à nous par la rigueur et l’exactitude de la mise en place de l’acte photographique. Le décor est souvent absent, le sujet prend toute sa place et parfois se mue en décor par sa multiplication. Les accessoires (masques, ustensiles divers) s’accouplent aux corps, aux visages de ses modèles, deviennent indissociables, ne font plus qu’un, des mutants naissent sous nos yeux. L’anonymat, l’inconnu, collent aux personnages, aux objets, l’on se pose alors des questions simples et essentielles : ont-ils une histoire, une mémoire, une réalité, jouent-ils un rôle ? Les réponses de Frédéric Nakache laissent une étrange vision nous envahir, par le cadrage, le sujet, la précision de la prise de vue, les différentes dimensions de ses tirages, il nous fait pénétrer la véritable réalité de ses images. Avec ce réalisme extrême qui n’est pas de l’hyperréalisme, il nous fait découvrir une profondeur de lecture où tout devient possible. Frédéric Nakache artiste médiateur de ce dispositif d’inversions, de croisements, de compositions entre modèles et objets, nous laisse entrapercevoir un domaine où l’évolution humaine et sociétale se traduit par la prise en compte des fantasmes novateurs de chacun de nous.

La sculpture peut prendre chez lui différents aspects. La série des Compositions remplace l’unicité du sujet. Les objets désuets, banals, anachroniques de la société de consommation se positionnent les uns par rapport aux autres en de savantes compositions pour nous offrir une mémoire de l’histoire de l’art avec une étrange similitude des natures mortes du XVIIIème siècle. Chacun des détails de ces œuvres ont le pouvoir de redéfinir de nouvelles propositions artistiques, réutilisés ou pas, ils servent de répertoire, de mémoire au monde perceptif de l’artiste. Des sculptures/installations s’introduisent dans les espaces d’expositions par l’entremise d’agglomérat de bulles transparentes, tissant des liens du sol au plafond, occupant l’angle d’une salle, elles se teintent parfois de magenta ou de cyan et nous révèlent la fragilité de l’espace comme si l’artiste avait suspendu leurs mouvements dans le temps. Certains objets/volumes sont extraits d’œuvres photographiques pour se produire dans la réalité de leur fonction, de leur matière ; ils retrouvent le volume réel de leur identité lorsque l’artiste les installe comme une évidence de réalisme dans ses expositions. La série « Compositions » réintroduit des bribes d’informations d’objets (deux volumes ceinturés, un aperçu de crâne, une orchidée, etc.), la photographie se réapproprie la sculpture, elle est perçue par le seul point de vue de l’artiste, elle modifie l’espace pour le rendre virtuel comme si nous étions en face d’un miroir où l’image devient une illusion immobile.

La vidéo est une discipline que Frédéric Nakache traite avec cette particularité de faire naître dans ses images, un mouvement à peine perceptible qui par analogie fait prendre vie à ses photographies. Elle reflète et synthétise la globalité de son travail. Les acteurs de ces séquences, sont aussi bien des personnages que des saynètes digitales. Ils se rejoignent dans la perception du temps qu’ils nous donnent à définir. Répétitions de gestes légèrement décalées dans les deux vidéos : Rebecca et La Caresse, elles nous offrent l’oxymore d’une possible narration improbable, ou bien alors, les mouvements à peine suggérés sous une pluie sonore dans les quatre pièces de l’Attente. Ces quatre pièces vidéo pourraient illustrer trois préoccupations importantes de l’écrivain Maurice Blanchot : Le rapport au temps, qui nous démontre l’impossibilité d’avancer tout en avançant, l’attente qui se transforme tout doucement en absence et les ineffables relations humaines qu’il nous faut découvrir au-delà des mots et des images.

L’artiste par le brouillage permanent entre ses œuvres et l’importance de leurs titres, nous oblige à être au plus près de ce jeu de piste. Il faut pour chacun de nous, percevoir le désir de décoder son travail, alors, tous ces divers indices une fois déchiffrés, nous révèlent la richesse de cette œuvre. L’Art de Frédéric Nakache, interroge le présent en mettant en scène la modernité de notre temps. Il nous questionne sur cette étrange perception : que l’humain et son environnement seraient indissociables et indéterminés.

Le 31 Août 2017,
Raoul Hébréard